mardi 16 octobre 2007

ALAIN MINC OU UNE CERTAINE IDEE DU CAPITALISME

Selon certains experts et intellectuels, la France serait un pays économiquement archaique, peuplé de syndicats sectaires, de fainéants vénérant les 35 heures, leurs droits acquis et les RTT.
Pourtant une étude plus poussée du capitalisme français démontre le caractère moyen âgeux de celui-ci. Celui-ci se distingue en effet par son opacité, ses connivences et son système de réseaux, bien loin du système libéral anglo-saxon dont se réclame l'intelligentsia française.
Ainsi dans son ouvrage « Petits conseils », Laurent Mauduit, ex-journaliste du Monde, s'attarde sur le cas d'Alain Minc, véritable portrait vivant du capitalisme à la française.

Brève biographie d'Alain Minc

Alain Minc est un énarque qui fit le choix du pantouflage (partir dans le privé après une formation de haut fonctionnaire) après avoir été inspecteur des Finances. Brillant intellectuel, il se distingua dans les années 80 par des échecs en tant que conseiller d'entreprises (Saint Gobain, Société Générale Belge...).
Dans les années 80, il fit parti des créateurs d'un haut lieu de la pensée unique, la fondation Saint Simon qui avait pour but de réunir des intellectuels, des journalistes (Serge July, Anne Sinclair, Franz Olivier Giesbert, Christine Ockrent, Jean Daniel, Jean Pierre Elkabbach...), des chefs d'entreprise (Christian Blanc, Jean Peyrelevade, Jean Luc Lagardère, Francis Mer...) afin de mettre en commun leurs réflexions. A terme il devint un lieu de promotion du social-libéralisme,
politique « moderne » et seule politique possible aux yeux de leurs membres.
Il est aussi expert attitré d'une émission de TV, « Vive la crise! », animée par Yves Montand. Cette émission avait pour but de faire la propagande libérale-populaire qui avait abouti au succès de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Les reportages sont très orientés (les privilèges des fonctionnaires, l'assistanat...) et font l'apologie de l'entrepreneur (à noter une éloge d'un jeune chef d'entreprise vendéen...Philippe de Villiers). Ainsi dans cette émission Michel Albert déclare que si la France ne suit pas les recettes libérales elle deviendra aussi riche que l'Afghanistan!
Dans les années 90, il devint président du Conseil de surveillance du Monde, mais aussi président du fan club d'Edouard Balladur.
Mais surtout à cette époque il trouve sa poule aux oeufs d'or : conseiller de grands patrons.

Le système Minc

Alain Minc s'était déjà constitué un bon carnet d'adresse grâce à son activité à la Fondation Saint Simon, mais aussi par son rôle de membre du conseil d'administration du Siècle – club huppé qui réunit l'élite parisienne - son activité de conseiller de grands patrons va étoffer sa clientèle.
Le premier talent d'Alain Minc c'est de cultiver des amitiés dans différents mondes : médiatique (grâce au Monde), industriel (Pinault, Bolloré, Maurice Lévy, Edouard de Rotschild, Zacharias, Proglio...), politique (Edouard Balladur, Nicolas Sarkozy, Thierry Breton, Dominique Strauss-Kahn). Cette confusion des genres est très profitable à son activité de conseil : il tient le levier politique, les soutiens médiatiques et financiers. De quoi attirer les clients...
Son deuxième talent c'est son statut d'initié : lorsqu'il conseille un industriel, il place souvent ses hommes à des postes stratégiques, ce qui lui permet de disposer d'antennes dans les grandes entreprises; lors de repas professionnels il n'hésite à faire des confidences utiles à ses interlocuteurs, sachant que les infos que ceux-ci lui donneront pourront être ultérieurement balancées; sa connaissance de certaines entreprises, de par son statut de conseiller, lui sert aussi lorsqu'il conseille des entreprises concurrentes.
Homme de réseau (« le Seigneur des réseaux » selon l'Express), circulateur d'information , Alain Minc est le parfait symbole d'un capitalisme français opaque, peuplé de parrains qui évoque beaucoup plus l'Ancien Régime que le 21ème siècle.
Par ailleurs pour crédibiliser son image d'intellectuel il écrit tous les ans des essais. Au vu de ses amitiés (BHL, Jean Daniel, Franz Olivier Giesbert...) et de sa mainmise dans certains médias ceux-ci font l'objet d'éloges unanimes. Jean Daniel raconte ainsi le harcèlement téléphonique qu'il a connu pour faire un papier-promo pour son essai sur Spinoza.
Le problème est que quelques semaines après sa sortie un écrivain, Patrick Rödel porte plainte pour plagiat. Cet écrivain avait en effet rédigé un ouvrage sur Spinoza qui était un mélange de fiction et de réalité. Hors dans son ouvrage les élèments sortis tout droit de l'imagination de Patrick Rödel (ainsi une recette de confiture de roses complètement
inventée par lui) apparaissent dans l'ouvrage d'Alain Minc. Et là on découvre qu'Alain Minc utilise trois « nègres » pour rédiger ses ouvrages. Tout un mythe qui tombe.

Alain Minc et la Caisse d'épargne

Comment Laurent Mauduit, auteur de l'ouvrage, a-t'il été amené à démissionner du magazine Le Monde qui était pourtant son employeur?
Tout commence avec un scoop concernant la Caisse d'épargne. Celle-ci négocierait dans le plus grand secret un accord avec la Banque populaire, en vue de créer une structure commune : Natixis. Laurent Mauduit est particulièrement intéressé par cette info, d'autant que beaucoup de choses l'intriguent dans cet accord : il est fait sans l'accord pourtant obligatoire de la Caisse des dépôts et consignations, est particulièrement avantageux pour la Banque Populaire. Lorsque
la Président de la CDC, Francis Mayer, est hospitalisé pour de graves problèmes de santé (qui le feront d'ailleurs décéder), les négociations s'intensifient...
Laurent Mauduit souhaite balancer l'info dans le magazine Le Monde, et là stupeur : bâtons dans les roues, retards, coupes dans l'article, veto de l'avocat...au final l'article est partiellement censuré.
Laurent Mauduit décide de faire quelques recherches et là il découvre que la Caisse d'épargne est un actionnaire du Monde, qu'Alain Minc a été conseiller d'une des caisses régionales et qu'il avait conseillé Charles Milhaud, président de la Caisse d'épargne, dans une opération financière agressive à l'égard de la CDC, qu'en 2002 la Caisse d'épargne fut la troisième contributrice à un appel à financement du Monde (qui obtient même le secret de cette transaction grâce à une
dissimilation comptable qui permet de cacher le nom du donateur).
Notons que pour ses conseils à la Caisse d'épargne Alain Minc toucherait entre 150 000 et 200 000 € par an, que la banque Rotschild – conseillère de la Caisse d'épargne - est aussi conseillère du Monde, que Le Monde souhaite fusionner ses activités médiatiques du Midi avec celles du groupe Lagardère avec l'aide...de la Caisse d'épargne, que celle-ci a engagé en son sein plusieurs connaissances de Nicolas Sarkozy dont l'épouse de Brice Hortefeux.
Toutes ces informations justifient-elles la censure partielle de l'article de Laurent Mauduit? Une plongée dans le monde d'Alain Minc permet de se poser des questions.

Alain Minc et le groupe de Vinci

Tout le monde en France se souvient de la polémique créée par le départ d'Antoine Zacharias du groupe Vinci avec un gros chèque à la clé en juin 2006. Ce que les gens connaissent beaucoup moins ce sont les coulisses de cette affaire, dans laquelle se situe encore l'omniprésent Alain Minc, véritable Nicolas Sarkozy du monde des affaires.
Suite à une fusion à la Alain Minc entre SGE et GTM, Antoine Zacharias est nommé PDG du nouveau groupe, Vinci.
Cette fusion est une nouvelle fois douteuse car si la GTM est dirigée par un ami d'Alain Minc, Gérard Mestrallet, celui-ci a la surprise de découvrir qu'Alain Minc – qu'il rémunère pour des conseils à Suez - dispose de beaucoup d'amis à la SGE datant de l'époque où il officiait à Saint Gobain, qu'Antoine Zacharias, le nouveau PDG de Vinci, est aussi conseillé par Alain Minc.
Et entre Antoine Zacharias et Alain Minc va s'organiser un pacte d'enrichissement mutuel : Alain Minc touche ainsi 160 000 € annuels pour prodiguer ses conseils, qui consistent en fait à prendre un ou deux petits déjeuners mensuels avec le PDG dans un restaurant chic parisien; par ailleurs il rentre au comité de rémunération de l'entreprise et organise les rémunérations virtigineuses d'Antoine Zacharias.
Antoine Zacharias approchant de la retraite, le successeur désigné est Xavier Huillard. Cependant celui-ci a le malheur d'appeler Antoine Zacharias a faire preuve de raison dans ses primes de départ, craignant des effets sur l'opinion publique et un déballage médiatique.
Alain Minc et Antoine Zacharias décident donc de se débarasser de Xavier Huillard en proposant une de leur relation pour le remplacer, Alain Dinin. Les motifs du remplacement étant fallacieux, Xavier Huillard sent qu'on souhaite l'évincer. Une guerre des clans s'organisent, Xavier Huillard rédige alors une lettre adressée au conseil d'administration dénonçant les pratiques du couple Minc-Zacharias, avant de démissionner. Un conseil d'administration est organisé qui désavoue Zacharias.
Lors de son départ Le Monde publie un article élogieux sur Zacharias avec des citations d'administrateurs anonymes. Cependant certaines expressions typiques d'Alain Minc se retrouvent dans cet article. Et lorsque le nouveau PDG de Vinci prend une décision déplaisant à Alain Minc, celui-ci le critique par une lettre qu'il transmet le 15 juin 2006 au matin. Les extraits de cette lettre sont publiés dès l'édition du soir du Monde...
C'est alors qu'Alain Minc retourne sa veste et prend la tête des intransigeants envers Zacharias. Dans le même temps Veolia annonce qu'il souhaite faire une OPA contre Vinci. Notons que Veolia est conseillée par un certain Alain Minc. Artémis entre aussi dans le capital de Vinci. Entreprise dirigée par François Pinault, ami d'Antoine Zacharias et conseillé par...Alain Minc.

Alain Minc et Vincent Bolloré

Autre gros client d'Alain Minc, Vincent Bolloré, l'homme qui parle à l'oreille du Président de la République.
Cet homme provient du clan de Claude Bébéar, grand parrain du capitalisme à la française. Il est notamment membre du Club Entreprise et Cité (avec Jean René Fourtou, Thierry Breton...).
Leur amitié date de l'époque où Alain Minc négociait avec le groupe Bouygues pour la constitution du groupe Vinci.
Suite à l'échec des négociations, et avec un grand esprit de discrétion, Alain Minc contacte Vincent Bolloré pour lui proposer de faire une OPA sur le groupe. Les négociations lui ont en effet permis de disposer de beaucoup d'informations sur le groupe (sous coté en Bourse, fragilité depuis le décès de Francis Bouygues). Il est convenu qu'Alain Minc touche 1 % des plus values réalisées.
Une OPA est donc lancée. Après diverses aventures un pacte d'actionnaire est signé entre Martin Bouygues et Vincent Bolloré afin de calmer les hostilités. Ce pacte est trahi par Bolloré dès le lendemain de sa signature, Bouygues décide alors de le faire rentrer au conseil d'administration du groupe. A ce poste il met en doute les finances du groupe, diligente même un ancien de la brigade financière pour prouver des malversations. Au terme Bolloré se désengage, un autre ami de Minc, François Pinault rachetant ses parts. Bilan : 230 millions d'euros de plus values en 8 mois pour Bolloré et 1 % à Minc.
Cette somme est aussitôt réinvestie dans une autre OPA contre le Groupe Pathé. Bilan : une hausse de 40 % de l'action en Bourse et une plus value de 300 millions d'euros et 1 % à Minc. Même opération pour Havas et Aégis.
Vincent Bolloré doit aussi à Alain Minc son entrée dans les médias. Ainsi Alain Minc, qui est rémunéré par Bolloré, « accepte » qu'il soit choisit par Le Monde pour lancer un gratuit, Direct Soir! Alain Minc ou le roi du conflit d'intérêt.
Le fils de Vincent Bolloré dirige aussi une chaine de la TNT, Direct 8, dans laquel un expert dispose de son émission hebdomadaire. Le nom de cet expert? Alain Minc...

Alain Minc et les médias

Il s'agit tout d'abord de Libération.
Dès octobre 2006, Edwy Plenel laisse sous-entendre qu'Alain Minc aurait joué un rôle dans sa récente évolution. Le nouveau patron de Libé, Edouard de Rotschild, compte parmis ses conseillers Alain Minc. Edwy Plenel propose un plan de relance du titre, qui est écarté par Edouard de Rotschild qui lui préfère Laurent Joffrin (connaissance d'Alain Minc puisqu'ils étaient tous deux experts attitrés d'une émission des années 80, « Vive la crise! » et qu'ils faisaient parti de la Fondation Saint Simon) et propose surtout un chantage au personnel de Libé : abandonner partiellement leur indépendance ou accepter un plan de licenciement massif. Le personnel choisira d'abjurer une part de leur indépendance.
Notons qu'Alain Minc possédait quelques poulains au sein même de la direction de Libé (Matthieu Pigasse, ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn) qui l'ont aidé lors des négociations, ou qu'il a consulté Nicolas Sarkozy pour faire à tout prix barrage à Edwy Plenel.
Il s'agit aussi du Monde.
Arrivé dans le magazine en 1985, c'est en 1994 qu'il réorganise la direction pour se conférer plus de pouvoirs. Après une période de fuite en avant où Le Monde rachète beaucoup de titres, des difficultés financières surviennent. Un appel à financement est fait et de nombreuses entreprises conseillées par Alain Minc y répondent. Ces nouveaux financements
marginalisent la part des journalistes dans le groupe et donc atteint leur indépendance. D'autres transactions permettent au groupe Lagardère d'entrer dans le groupe.
Beaucoup de choses évoluent alors : Jean Marie Colombani se voit attribuer un salaire virtigineux, Edwy Plenel est débarqué, soutien à Sarkozy ...
Deux putschs discrets dans deux médias majeurs de la presse écrite qui voient leur dépendance vis-à-vis des « forces de l'argent » grandir.

Conclusion

Comme on le voit beaucoup de choses doivent être réformées dans le capitalisme français : suite aux affaires Enron et Worldcom, les Etats Unis ont ainsi adopté la loi Sarbanes-Oxley et établi 68 règles (édictées dans le rapport Breeden) afin de moraliser le capitalisme.
Le capitalisme français en reste lui au Moyen Age : connivences, opacité, presse contrôlée, autorités de régulation peu indépendantes (ex l'AMF)...Laurent qualifie son enquête de mesure de salubrité publique et reprend l'expression de Lionel Jospin de « nouvelle aristocratie » pour désigner ces capitalistes qui n'ont rien d'entrepreneurs.
Le système Minc est une parfaite reproduction miniature du capitalisme à la française : conflits d'intérêt (il conseille deux sociétés qui fusionnent par exemple ou est rémunéré par deux entreprises concurentes), renvois ascenseurs.
Ses talents : il est au centre du microcosme parisien, sait tout sur tout, se place à la confluence des mondes politiques, médiatiques et financiers, a des antennes partout car il a placé des hommes proches de lui dans des postes stratégiques dans des entreprises qu'il conseille.
A l'heure où certaines cautions politiques de ce capitalisme rétrograde français nous vendent leurs recettes économiques comme un produit marketing capable de changer l'eau en vin (« la sociale-démocratie lave plus blanc que blanc »), il convient, avant de modifier le sytème économique de le moderniser et surtout de le moraliser.
En 2002, Alain Minc a rédigé un ouvrage « Epîtres à nos nouveaux maîtres » dans lequel il critiquait le goût de la transparence et l'omniprésence des juges et des médias indépendants. Mais par chance son ami Nicolas Sarkozy est le nouveau maître de la France et tout le monde sait qu'avec lui ça sera la tolérance totale pour les racailles du droit des affaires. Bonnes continuations Monsieur Minc.

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